L’horreur en spectacle: délinquants et bourreaux en Nouvelle-France

« C’est grand pitié que d’estre vieux, mais il ne l’est pas qui veut » – Jacques Lagniet

Vous êtes du genre à « blasphémer »? Soyez discret, car depuis 1666, tous les blasphémateurs, qui auront été repris sept fois, auront la lèvre supérieure coupée. Tenez votre langue, car à la huitième offense, elle vous sera enlevée. Voilà ce qu’on appelle, dans le jargon judiciaire du temps,  l’abcision: l’« action par lequel, en exécution d’un jugement, le bourreau coupe un membre à un condamné »(1). Si la sentence nous paraît sévère, exagérée, le contexte peut nous aider à comprendre:

Le verbe primait en Nouvelle-France, il supplantait l’écrit dans une société ou l’analphabétisme prévalait. On donnait sa parole. Celle-ci était une marque de confiance dans cette société. Les réputations se faisaient et se défaisaient par elles. – André Lachance (2)

Le supplice de la roue: Un condamné recevant des coups de barres, destinés àa lui briser les membres, avant d'être laissé pour mort sur une roue. « Les images de la justice dans l’estampe, de 1750 à 1789 ».

Le supplice de la roue: le condamné reçoit des coups de barres, destinés à lui rompre les membres à vif, avant d’être laissé pour mort sur une roue, face contre ciel. « Les images de la justice dans l’estampe, de 1750 à 1789 ».

L’histoire de Québec est, à bien des égards, une histoire violente. Les crimes ne sont pas rares, et ils sont durement punis par la justice, censée montrer l’exemple. La plupart du temps, ce sont des délits mineurs: vols, insultes, voies de fait. Une criminalité du quotidien qu’on attribue à quelques délinquants, qui « contaminent » la bonne société. Et pour éviter cette contamination, il faut dissuader ceux qui seraient tentés de les imiter.

Voici pourquoi les sentences graves sont presque toujours publiques. Les exécutions ont lieu devant la foule, dans les endroits les plus achalandés de la villes, dans une mise en scène calculée où la souffrance et la misère des condamnés sont offertes en spectacle par l’exécuteur des hautes-œuvres – littéralement, le bourreau – dans le but de saisir les esprits, de marquer l’imagination par la violence, la peur et le dégoût.

Transgresser

Parce qu’on tient la parole en si haute estime, une simple insulte peut mener devant les tribunaux royaux. La violence verbale est omniprésente, dans cette société ou la rudesse, voire même la brutalité des attitudes constituait la norme. La parole jaillit spontanément, et la réponse est immédiate. Mais de quoi s’insulte-t-on, au temps du régime français? Le registre est plutôt riche.

Nouvelle-France en 1749, selon Francis Back

Nouvelle-France en 1749, selon Francis Back. Scène de de la vie quotidienne, jour de marché.

Pour injurier une femme, le répertoire sexuel est particulièrement exploité. Les insultes les plus graves sont celles de « putain publique », « putain d’ivrognesse », « garçe », « maquerelle », « coureuse de garçons ». Ce sont des injures très répandues dans la colonie. Pour une femme, être accusée de prostituée est la pire des insultes, la plus déshonorante, car celle qui portent le plus attentes à ses mœurs. Pour les hommes, les pires injures sont celles qui s’attaquent à leur honnêteté; les plus répandues sont « fripon » et ses synonymes, « voleur, coquin, gueux, maraud, receleur, faquin, canaille et cartouche » (3). On les compare aussi parfois aux animaux; « bougre de chien », « cochon », « élan », « vilaine » sont tout aussi fréquents.

Ces agressions verbales sont souvent punies par des amendes qui peuvent être très élevées. En novembre 1728, Charlotte Turpin, une fermière, dut payer 100 livres à sa maîtresse, Marie-Catherine Trottier – femme du soldat des troupes de la marine François Picoté du Belestre – pour l’avoir injurié de « gueuse » et de « putain ». En 1721, deux hommes de Québec durent verser « solidairement » une amende de 400 livres à Louise Quay, la fille d’un débiteur de boisson, pour avoir affirmé « avoir eu un commerce charnel avec elle ».

A Duel with Small Swords in 1760 by Percy MacQuoid, R.I., February 6, 1897

A Duel with Small Swords in 1760 by Percy MacQuoid, R.I., February 6, 1897

Reste que si la plupart des délits commis sont d’ordres mineurs, des crimes graves ont aussi lieu. Les duels, par exemple, sont très sévèrement réprimés: la peine mort y est la seule sentence possible, mais cela n’est pas assez. Les coupables ont parfois le poignet droit coupé avant d’être pendu. La dépouille est ensuite « salie » car traînée, face contre terre, à travers toute la ville jusqu’à la voirie (littéralement, le dépotoir) pour y être jeté, à travers les déchets et les immondices. Les biens du condamné sont ensuite saisis, laissant les membres de sa famille dans une pauvreté totale et le déshonneur le plus complet.

Pourquoi un homme voudrait donc ainsi risquer de terminer sa vie? L’honneur. C’est l’unique raison, et la plus importante. L’honneur, qui est l’apanage d’une élite sociale et des privilèges qu’elle s’offre et qui la distingue des couches sociales moins élevées. Car les gens du commun ne se provoquent pas en duel et cela s’explique notamment par le fait qu’ils n’ont pas le droit de porter l’épée, un privilège réservé aux nobles et aux soldats. Cela dit, tous les duels ne finissent pas par la mort d’un des participants. De 1608 à 1763, seules 9 personnes sont décédées des suites d’un duel.

Juger

Pour qu’un jugement soit émis, une plainte doit être portée aux tribunaux royaux – à Québec, cette cour de justice porte le nom de « Prévôté ». La justice française de l’époque, dite « inquisitoire » est radicalement différente de celle qui a été implantée après la conquête anglaise de 1760, dite « accusatoire », voire opposée:

Capture d’écran 2014-10-05 à 23.10.20Puisque l’accusé est coupable jusqu’à preuve du contraire, on recourt fréquemment à la torture pour obtenir des aveux, qui sont considérés comme « la reine des preuves ». Aucun témoignage n’équivaut à un aveu. Toute la procédure judiciaire tourne autour de celui-ci, car un accusé ne peut être condamné à mort sans avoir avoué son crime. Tout est mis en œuvre pour les obtenir, la justice étant très pointilleuse en ce qui concerne les preuves, exigeant qu’elles soient « plus lucides que le clair jour luisant à midi », selon une vieille formule (4). Les aveux sont obtenus de gré ou de force, en utilisant la torture au besoin. On dit alors qu’on soumet l’individu à « la question ».

Avant de subir la question, l’individu était laissé de huit à dix heures sans manger. Il était ensuite  examiné par un chirurgien, qui évaluait sa capacité physique à subir la torture. Le maître des hautes œuvres administrait ensuite la question. Les magistrats de Paris utilisèrent souvent le supplice de l’eau ou des brodequins, pour l’épreuve de la question; à Louisbourg, on utilisa le supplice du feu, mais dans la colonie laurentienne, les juges n’utilisèrent que les brodequins. Voici en quoi le procédé consiste:

Les jambes du détenus lors du supplice du brodequin.

Les jambes du détenus lors du supplice du brodequin.

Puis l’exécuteur déchaussait le condamné, l’asseyait sur le «siège de la Question », le mettait « nues jambes », plaçait celle-ci entre quatre « bouts de planches » de bois dur (habituellement du chêne) qu’il attachait et serrait fortement avec de la corde. Ensuite commençaient les tourments. Le bourreau, après avoir inséré un coin de bois entre les jambes et la planche au niveau des genoux, frappait fortement sur le coin. […] Chaque fois que l’exécuteur frappait sur un coin, le juge demandait au supplicié d’avouer et le greffier notait fidèlement, souvent textuellement, la réponse dans un registre. – André Lanchance (5)

Normalement, les juges n’en viennent pas tout de suite à la torture. On commence par montrer au condamné tous les outils qui seront utilisés pour le faire souffrir. Ce n’est qu’une fois que tous les moyens « pacifiques » ont été employés qu’on a recours à la question. Instrument légal apte à établir la vérité judiciaire, cette méthode répond à l’une des difficultés principales qu’un juge de l’époque avait à surmonter : réunir des preuves.

D’ailleurs, une fois ces preuves obtenues, habituellement les choses ne s’améliorent pas pour le condamné. Et c’est là que le bourreau entre véritablement en scène…

Punir

Il y a bien des façons de punir: carcan, brodequins, mutilations, fouet, pendaison, décapitation, flétrissure, galères; le choix de manque pas. Le carcan était un collier métallique ou en bois servant à attacher un condamné. Surtout utilisé pour les petits criminels, on dispose le malfrat en public, pendant quelques heures, exposé à l’humiliation publique. Le fouet est également très répandu et populaire. Tant utilisé pour les soldats que les citoyens, on prévoit habituellement un trajet marqué d’arrêts où le bourreau chaque fois inflige 6 ou 7 coups au condamné, dépendamment de la gravité du crime commis.

La flétrissure, une des multiples méthodes de châtiments non-mortels.

La flétrissure, une des multiples méthodes de châtiment non-mortels. Un des bourreaux applique le fer tandis qu’un autre agite une poignée de verge, appelée communément une « bourrée », d’où s’inspire le mot « bourreau ».

La flétrissure est le fait de marquer au fer rouge un condamné. Sous le régime français, on a l’habitude de marquer l’épaule ou la joue d’une fleur de Lis. On inscrit un « V » pour les voleurs, et « W »pour un voleur récidiviste. Nul besoin de mentionner que ces marques indélébiles changent définitivement la vie des affligés, notamment quand la flétrissure est au visage… et ça c’est quand la plaie ne s’infecte pas, ce qui est rare.

Après les avoir marqués des lettres « GAL » avec le fer, on expédie parfois les condamnés aux galères. Cette peine est une des pires imaginables, les chances d’y survivre étant quasi nulles. Les galériens sont expédiés en France, débarquent au port de La Rochelle ou autres, doivent traverser à pied une partie de la France, attachés à la chaîne des forçats, subissant les coups des gardiens en plus des injures et insultes des passants, pour enfin parvenir à Marseille. De là, embarqués à bord de ces galères glauques, propulsés par toute une force humaine asservie et maltraitée, ils sont nus jusqu’à la taille et enchaînés à leur banc jour et nuit, sous la menace constante du fouet. « À leur apogée, vers 1680, les galères du roi utilisaient un total de 7000 rameurs. »(6) Considérées comme trop coûteuses et peu efficaces, les galères sont abolies en 1749, et remplacées par le « bagne », un établissement pénitentiaire de travaux forcés, alors appelés « galères sèches ».

Que faire quand, par exemple, un condamné est en fuite? La peine est-elle abandonnée? Non. En aucun cas la peine ne peut être abandonnée, car ce serait là montrer que des crimes demeurent impunis. En l’absence des criminels, le châtiment s’effectue « par effigie ». La méthode consiste à peindre une représentation du condamné et d’appliquer le châtiment à cette image. Une scène qui devait, on se l’imagine bien, être légèrement moins spectaculaire que celle d’un supplicié bien vivant.

 Éxécuter

Un seul homme détient le droit légal d’enlever la vie en Nouvelle-France: le bourreau. Il joue un rôle crucial dans la colonie pour appliquer les châtiments corporels. Il incarne ni plus ni moins que le bras justicier du roi, infligeant dans la chair et les esprits la souffrance et la vengeance royale. Il n’y a normalement qu’un bourreau en Nouvelle-France. De quoi avait-il l’air? On pense qu’il était vêtu de rouge:

[…] son costume ressemblait à celui de l’exécuteur français, si l’on se fie à la liste de vêtements emportés par le bourreau Jacques Élie dans sa fuite vers la Nouvelle-Angleterre en 1710. On y retrouve en effet plusieurs vêtements de couleur rouge, comme des culottes de Mazamet rouges, un gilet et une chemise de même étoffe et de même couleur, ainsi qu’un autre gilet rouge – André Lachance (7)

Le maître des tourments est marginalisé et n’inspire que l’horreur et le dégoût. Les gens estiment qu’il est contaminé par la souillure des criminels qu’il châtiait. Marginalisé socialement, il l’est aussi physiquement dans la ville, vivant à l’écart des autres, dans une demeure fournie par l’État, éloignée du centre urbain. À Québec, il habite la « redoute du bourreau », une des tours de guet qui bordaient la muraille côté ouest de la ville. On peut encore aujourd’hui visiter le lieu où s’élevait le petit édifice, à l’extrémité ouest de l’actuel Parc de l’Artillerie, près des Nouvelles casernes.

Peu expérimenté d’abord, on le laisse habituellement se « faire la main » sur les criminels, mais on s’attend à ce qu’il ne rate pas l’exécution. S’il fait mal son travail, la foule peut rapidement s’emporter et même intervenir jusqu’à libérer le prisonnier, considérée comme une victime de l’incompétence de l’exécuteur. Sa maladresse peut même lui coûter la vie. Néanmoins, il a la chance d’avoir un salaire décent. À Québec, il est payé 300 livres par an, ce qui équivaut au salaire annuel d’un ouvrier spécialisé au milieu du milieu du 18e siècle (8).

Décapitation de Lally-Tollendal (1766). Le bourreau s’y reprendra à plusieurs fois pour trancher la tête.

Décapitation de Lally-Tollendal (1766). Le bourreau s’y reprendra à plusieurs fois pour trancher la tête.

La pendaison est la plus commune des peines capitales. Des 89 personnes qui furent condamnées à la peine de mort sous le régime français, 69 furent pendus (9). Les roturiers sont ainsi traînés sur la place publique, montés sur une échelle pour être attaché à la corde puis pendus, haut et court. La décapitation est, quant à elle, le privilège des nobles. Seuls quelques gentilshommes en écopèrent, pour peine d’avoir tué leur adversaire au cours d’un duel. Mais de ces quelques nobles condamnés, tous parvinrent à s’échapper avant de subir leur châtiment. Le supplice de la roue était sans doute la plus horrible des façons de mourir. C’était un des châtiments les plus douloureux car le bourreau brisait les membres du condamné encore en vie, avant de le laisser pour mort sur une roue, face contre ciel.

Conclusion

Cette petite criminalité nous renseigne bien plus sur le quotidien des gens, sur leur manière de régler les conflits, sur les sujets de discordes communs, que les crimes graves, beaucoup plus rares. Si la conquête anglaise voit abolir la torture judiciaire, la torture en tant que sentence n’est pas abandonnée, loin de là. Des supplices bien plus horribles que ceux ci-dessus mentionnés eurent cours encore longtemps. Très longtemps. À titre d’exemple, le dernier bourreau de France, Marcel Chevalier, demeura en fonction jusqu’au 9 octobre 1981, date à laquelle la peine de mort fut abolie dans l’hexagone. 1981…

Samuel Venière

Historien

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1. Saint Edme, Dictionnaire de la pénalité dans toutes les parties du monde connu, T.1.

2. Délinquants, juges et bourreaux en Nouvelle-France, André Lachance, p. 20.

3. Ibid., p. 23.

4. Ibid., p. 124.

5. Ibid., p. 127

6. Pascal Bastien, Normand Renaud-Joly. Les châtiments non mortels, Criminocorpus [En ligne] publiée le 13 janvier 2014.

7. Op. Cit., André Lachance, p. 201.

8. Centre d’histoire la Presqu’Île: Archives régionales de Vaudreuil-Soulanges, Valeur des choses dans le temps.

9 . Ibid., Lanchance, p. 148.

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Le référendum raté de Terre-Neuve: L’annexion de 1949

Depuis 1931 et le Statut de Westminster, Terre-Neuve et le Canada étaient deux États indépendants, membres du Commonwealth britannique. Au début des années 1930, Terre-Neuve comme le Canada et son puissant voisin du Sud, les États-Unis, sont aux prises avec la pire crise économique de l’histoire. Les 300 000 Terre-Neuviens, vivant essentiellement de l’industrie de la pêche, sont durement frappés et le gouvernement peine à trouver une sortie de crise. En 1934, Londres prend en charge la dette étrangère de Terre-Neuve, mais à un fort coût: la dissolution du gouvernement et l’imposition d’une « Commission de gouvernement », qui dirigera l’île de 1934 à 1949.

Paternalisme bienveillant pour les uns, dictature pour les autres, la Commission qui dirige le territoire pendant 15 ans est nommée directement par Londres. Elle comporte six membres, dont trois doivent venir de Terre-Neuve. Le président de la Commission est le gouverneur de Terre-Neuve, également nommé par Londres. Au moment du référendum, Terre-Neuve n’a donc pas de gouvernement démocratiquement élu…

Après six ans de conflit difficile pendant le Seconde guerre mondiale (1939-1945), la Grande-Bretagne, financièrement épuisée cherche à se départir de Terre-Neuve. Un des enjeux majeurs de la guerre et l’idée que vont mettre à l’avant les démocraties occidentales est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le choix sera donc laissé aux Terre-Neuviens du gouvernement dont ils veulent. Une Assemblée constituante est mise sur pied, la « National Convention », composée de 45 membres élus par la population, chargée d’étudier et de débattre la question de la forme que prendra le futur gouvernement. La décision finale reviendrait au peuple lors d’une consultation populaire.

Après 18 mois de travaux et délibération soit le 29 janvier 1948, l’assemblée en vient à la conclusion que l’option de la confédération avec le Canada ne fera pas parti des choix offerts aux Terre-Neuviens. Les deux choix offerts seront:

1. Le gouvernement responsable comme celui d’avant 1934 (l’indépendance).

2. La Commission de gouvernement (le statu quo).

Par une curieuse tournure des évènements, l’option de la confédération avec le Canada finira tout de même par se retrouver sur le bulletin de vote. L’historien David MacKenzie commente « Le Bureau des relations du Commonwealth avait conservé pour la décision définitive sur ce qui devait paraître sur le bulletin de vote et vu le sentiment de la Grande-Bretagne et du Canada à ce sujet, il ne pouvait y avoir qu’une décision […] L’option de la confédération a donc été incluse sur le bulletin parce que c’était la politique soutenue par le Canada et la Grande-Bretagne ».  Le référendum prévu ne comporterait ainsi non pas deux, mais bien trois choix. Cette décision venue d’en haut était pourtant contraire à ce qui avait été décidé par l’assemblée élue par les gens de Terre-Neuve. À partir de ce moment, le référendum en devient un à deux tours: Si, lors du premier tours, aucun des choix n’obtenait une majorité, il y aurait un deuxième tour, qui n’inclurait que les deux choix ayant obtenu le plus de voix.

Joseph Roberts Smallwood, futur premier Ministre de Terre-Neuve de 1949 à 1972, est un acteur important du camp de la confédération. En 1946, il est élu à la National Convention et déploie toutes ses énergies à promouvoir l’union avec le Canada. Fédéraliste convaincu, il domine littéralement les débats. Smallwood, s’adressant aux Terre-Neuviens, tiendra ce discours « Nous ne sommes pas une nation. Nous sommes une municipalité de taille moyenne […] laissée loin derrière dans la marche du temps. »

Au premier tour, le 3 juin 1948, le retour à l’indépendance est le choix le plus populaire et remporte 45% des voix. Vient ensuite la confédération avec 41%. Les résultats du deuxième tour scelleront le sort de l’Île. Celui-ci se tient 49 jours plus tard, soit le 22 juillet 1948. Les résultats sortent enfin: 52,3% pour la confédération contre 47,7% en faveur de l’indépendance.

Les résultats sortent enfin.

Après de longues négociation entre Ottawa et Terre-Neuve, l’île devient officiellement la dixième province canadienne le 31 mars 1949.  Aussitôt sortis, ces résultats sont qualifiés de « clear and beyond all possibility of misunderstanding » (claires et sans ambiguïté) et « without any trace of influence or pressure from Canada » (sans la moindre influence ou pression du Canada) par le premier ministre canadien de l’époque, William Lyon MacKenzie King. Si le résultat paraissait effectivement clair aux yeux de tous, les circonstances entourant le vote, qui n’ont été mises au jour que des décennies après l’évènement, soulèvent un lot insoupçonné de questions quant à la transparence du processus référendaire, voire même sur la crédibilité des résultats finaux.

Dans son ouvrage publié en 2005, Robin Philpot, diplômé en histoire de l’Université de Toronto, mentionne qu’au moment où le Canada fêtait son centenaire, soit en 1967, dans le cadre d’un séminaire sur Terre-Neuve, un homme politique du nom de Harold Horwood – un des principaux lieutenants de Smallwood – a décrit avec ferveur « comment le Parti libéral du Canada avait financé à grand frais et en sous-main la campagne favorable à l’annexion »(p. 32). Ne pouvant récolter assez de fonds à Terre-neuve, il trouve auprès de l’argentier C.D.Howe et le trésorier Gordon Fogo, tous deux du Parti libéral, des gens près à lui soumettre une liste de donateurs privés potentiels. « Il y avait beaucoup de dépense et je pense que nous avons dépassé plusieurs fois le montant qu’à pu dépenser la Ligue pour un gouvernement responsable » favorable à l’indépendance. En 1948, la télévision est rare. Les journaux et la radios sont les médias principaux. Horwood continue «Notre envoyé Ray Petten est resté au Canada pendant toute la campagne référendaire et a continué à la financer. Nous avons pu publier un journal hebdomadaire au coût de 5 000$ par semaine et nous avons embauché le meilleur caricaturiste au Canada qui nous faisait des caricatures à 500$ chacune »(p. 33).

Le camp procanadien aurait également un rôle important à jouer dans la montée des tensions religieuses qui divisait la population de Terre-Neuve. Profitant de l’opposition entre catholiques, majoritairement favorables à l’indépendance, et les protestants, qui prônaient plutôt de rejoindre la confédération, des agents doubles posent des affiches provocatrices devant les églises protestantes. Horwood vante l’exploit ainsi: « Les Catholiques ne savaient pas, et personne ne l’a su pendant 15 ans, qu’un groupe du camp proconfédération avait fait imprimer les affiches pour ensuite les placer eux-mêmes sur les églises protestantes. Nous avions un agent double (…) Au moment du deuxième référendum, nous avions réussi par ces méthodes fourbes et très douteuses à convaincre assez de protestants pour obtenir un très mince majorité de 2% » (p. 34).

Philpot révèle un dernier fait troublant. En 1967, dans un studio de radio de la BBC à Londres, un Anglais d’un certain âge ayant vécu à Terre-Neuve à l’époque du référendum, écoute un jeune étudiant londonien provenant de Terre-Neuve lire un poème qui le trouble. Il déballe ensuite sont histoire: haut fonctionnaire aux affaires étrangères britanniques, « il était chargé de voir à ce que le résultat de ce deuxième tour du référendum favorise l’annexion de Terre-neuve au Canada. Mais, ne le voyant pas ainsi, les Terre-Neuvois auraient rejeté la confédération avec le Canada pour une deuxième fois par le vote très serré de 52% contre 48%. Pour faire plaisir à Londres, le fonctionnaire britannique n’aurait fait que modifier légèrement le résultat, un maigre 4%, ce qui aurait scellé l’avenir du pays » (p. 35). Ce diplomate était probablement St John Chadwick.

Smallwood signant l’entente qui fait entrer Terre-Neuve au sein du Canada

Au regard de la documentation historique, il est impossible de vérifier le résultat véritable du référendum.  La raison est en simple; tous les bulletins de votes ont été brûlés deux semaines après les résultats par un certain Terre-Neuviens du nom de David Butler. Dans quel but? L’historien John Fitzgerald mentionne que l’homme lui aurait confié avoir reçu des instructions du directeur des élections, Nehemiah Short, l’enjoignant de brûler les documents.

Le débat référendaire n’a jamais totalement disparu de la scène politique québécoise. Les avantages de l’indépendance sont souvent difficiles à déterminer, alors que les peurs qu’elle peut provoquer – instabilité économique, conflits avec Ottawa, etc. – nous sont régulièrement rappelés par les fédéralistes convaincus. Qu’en est-il de Terre-Neuve? Son intégration au Canada lui a-t-elle été bénéfique? En 2004, The Independant de St-Jean, à Terre-neuve, publiait un bilan global de la confédération avec le Canada. Le rapport, qui contient également une analyse coûts-avantages détaillée, conclut que Terre-Neuve a été perdante sur presque toute la ligne. L’industrie de la pêche, qui est de compétence fédérale, a périclitée. Par comparaison avec une autre île vivant à 80% de la pêche ayant obtenu son indépendance dans les mêmes années, soit l’Islande en 1944 (mais dans un contexte fort différent, puisque le Danemark était alors envahi par l’Allemagne), cette dernière était plus pauvre que Terre-Neuve en 1930. Aujourd’hui, l’Islande enregistre un produit intérieur brut légèrement supérieur à celui du Canada.

Brian Tobin, homme politique canadien, faisait remarquer dans une entrevue en 2004 avec Philpot qu’ « il y a encore plein de monde à Terre-Neuve d’un certain âge qui disent: « Nous avons perdu notre patrie, nous avons abandonné notre pays sans tirer une seule balle ». » Ceux qui ont voulu convaincre les Terre-Neuviens qu’ils n’étaient « pas une nation », mais une municipalité moyenne, « laissée loin derrière la marche du temps », se sont bien gardé de rappeler que cette île, accostée une première fois en 1497 par Giovanni Caboto, habitée des vikings dès l’an mil puis colonisée en 1583 par les Anglais, aujourd’hui composée à 97% d’anglophones, possède sa propre  identité, sa propre histoire d’ailleurs bien antérieure à celle du Canada.

Samuel Venière

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Les citations sont tirées de « PHILPOT, Robin, Le référendum volé, Éd. Les Intouchables, Montréal, 2005. »

À voir aussi…

Les Archives de Radio-canada datant de 1949. Un reportage de René Lévesque.

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Un valet de coeur pour 50 livres : la monnaie de carte en Nouvelle-France

Que faire quand on manque de « piastres »? En 1685 à Québec, faute d’argent papier, on utilise des cartes à jouer. Comme on n’exploite pas de métaux précieux en Nouvelle-France au 17e siècle, les administrateurs comptent sur l’arrivée des bateaux à chaque fin de saison, qui transportent de la monnaie sonnante depuis la France pour payer les fonctionnaires, les fournisseurs, les soldats et les commis. Mais que faire quand le transport prend du retard? Pire encore, s’il n’arrive jamais? Afin de pallier à ce problème, un personnage va trouver une solution tout à fait innovatrice : une monnaie de papier faite de cartes à jouer! Ce qu’on sait peu, c’est qu’il s’agit du premier cas d’utilisation de papier-monnaie en Amérique du Nord, et l’un des premiers dans le monde.

Monnaie de carte du Canada valant 50 livres. Au verso, les signatures de Duplessis, Vaudreuil et Begon, 1714.

En l’an 1682, l’intendant de Québec est Jacques de Meulles. Il doit son poste à ses liens familiaux avec le ministre Colbert, alors contrôleur général des finances de France au service du roi Louis XIV. Il est responsable du développement de la colonie à une époque difficile : les nations iroquoises sont de plus en plus hostiles, alors que le gouverneur Joseph-Antoine Le Febvre de La Barre, avec lequel il s’entend plutôt mal, mène une administration désastreuse, notamment sur le plan militaire. Pour faire obstacle aux maraudes des « sauvages », le roi envoie en 1684 un détachement de soldats pour garder les dépôts de pelleteries, mais « il oubli[e] de le payer tout en ordonnant de le faire vivre ». Évidemment… Les chargements de numéraires en provenance d’Europe n’arrivent qu’en fin de saison (quand ils finissent par arriver), créant toujours beaucoup de confusion dans la colonie en manque de liquidités. Les habitants en viennent à commercer par le troc, à la manière des Amérindiens. Benjamin Sulte (1841-1923), historien, journaliste, homme politique et poète québécois, déplore cet état des choses, le qualifiant de « primitif » et « par trop gênant ».

C’est dans ce contexte de crise que l’intendant de Meulles invente, en 1685, une monnaie tout à fait nouvelle, faite de papier. Le principe est simple, mais bien pensé : l’intendant y écrit un certain montant, y appose sa signature et son sceau de cire. Sur le dos de la dame de trèfle, par exemple, on inscrit : «Bon pour la somme de quatre livres ». Une fois le navire du roi arrivé, il rembourse en espèce la monnaie de carte.

Un premier essai est fait en utilisant un simple bout de carton, qui servait de bon d’échange. À défaut d’imprimerie, on écrit ces bons à la plume et à défaut de carton on utilise du papier blanc. Or, ce dernier est trop mou, sans consistance et s’endommage facilement. Le roi n’approuve pas ce mode de paiement et refuse de payer les habitants qui en détiennent. C’est un premier échec. Cette forme de monnaie prend fin seulement un an plus tard, en 1686. Trois ans plus tard, vers 1689, de Meulles à l’idée d’utiliser l’endos blanc des cartes à jouer (comme celles que l’on connait aujourd’hui), qui, semble-t-il, abondent dans la ville de Québec. Son matériau est beaucoup plus résistant. Approuvées par le roi, ces cartes étaient signées à leur dos de la main de l’Intendant, du Greffier du Trésor de la colonie et du Gouverneur, avec la date d’émission.

Empire français d’Amérique (en vert), vers 1750.

Avec la bénédiction du roi, demande fut faite aux commerçants locaux d’accepter cette nouvelle monnaie d’échange, contre la promesse d’un remboursement en argent sonnant au retour des navires français. On utilise cette pratique pendant des années, mais elle prend fin vers 1717, car le gouvernement français n’arrive pas à rembourser l’intégralité des cartes qui transitent en Nouvelle-France. On évalue actuellement à deux millions de livres la monnaie de carte en circulation au pays vers 1714. À la même époque, certaines cartes à jouer valent jusqu’à 100 livres!
Quelques années plus tard, la monnaie de carte refait surface à la demande des commerçants. Cet argent papier équivaut à divers montants selon sa dimension. Par exemple, une carte entière pouvait normalement valoir jusqu’à 24 livres. Les cartes sont ensuite coupées en deux ou en quatre pour diviser leur prix. L’historien Marcel Trudel (1917-2011) en situe une utilisation en 1737, alors que Joseph Sévigny de la Chevrotière, un capitaine de navire membre d’une importante famille seigneuriale, achète une esclave de 13 ans de la nation des Renards au prix de 350 livres, prix habituel pour une jeune Amérindienne, qui équivaut toutefois, pour la même époque, à quatre fois le salaire annuel d’un ouvrier. La transaction, effectuée chez un notaire de Québec, rue St-Pierre en basse-ville, est entièrement réglée en monnaie-carte à jouer. Les autorités françaises procèdent à l’émission de ces cartes jusqu’à la chute de la Nouvelle-France, soit en 1763.

Le roi de cœur (2009), issu de la collection de monnaie de carte de la Monnaie Royale Canadienne. Prix: environ 90$.

De 1720 à 1760, d’autres formes de papier-monnaie voient le jour à Québec et en viennent à surpasser les cartes à jouer en popularité. Le « certificat », par exemple, est un montant certifié que les commerçants utilisent avec leurs fournisseurs, tandis que l’ « ordonnance de paiement » est un papier signé par l’intendant et qui est remboursable, au même titre que les cartes et les certificats, par une lettre de change du Trésor de la Marine. Après 1763, les Canadiens détiennent encore l’équivalent de quelque 16 millions de livres en monnaie de papier, dont seulement 3,8 % en monnaie de carte. Suite à sa défaite, la France ne remboursera pas la totalité du papier-monnaie. La plupart des habitants perdent alors confiance dans la monnaie de papier et se mettent à thésauriser chez eux, utilisant au besoin le légendaire « bas de laine ». Dans les livres d’histoire, on dépeint souvent cette monnaie-carte comme «originale» et «ingénieuse». Dans les faits, elle semble avoir affaibli l’économie de la colonie en plus de contribuer à la chute de l’empire français d’Amérique, car elle reposait davantage sur un gage de confiance des fonctionnaires que sur une contrepartie métallique.

Par la suite, d’autres types de monnaie firent leur apparition. On vit même circuler des boutons aplatis! Ces formes de devises finissent par embrouiller le système d’échange, si bien qu’on ne sût plus, pendant un temps, quelle monnaie accepter ou refuser, ni même leur valeur exacte. Si, malheureusement, aucun exemple de monnaie-carte à jouer n’a survécu jusqu’à nos jours, ce patrimoine demeure bien vivant. Pour preuve, à l’occasion du 400e de la Vieille-Capitale, la Monnaie Royale Canadienne a produit, une série « Monnaie de carte » en argent sterling à l’image de celles utilisées au 18e siècle, dont le prix varie autour de 90$ la pièce. Avis aux collectionneurs !

Samuel Venière
Cynthia Labonté

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Pour en savoir plus sur l’histoire de la monnaie canadienne, consulter l’extrait de La monnaie et la politique au Canada, disponible en format PDF ici

À voir aussi…

Martin Masse y consacre un article très concret dans son blog, traduit de l’anglais d’après une conférence donnée en Alabama en 2006

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La pierre de l’Ordre des chevaliers de Malte : Une fenêtre sur un passé méconnu

La Ville de Québec est décidément bien unique. Elle est non seulement la seule ville d’Amérique du Nord toujours entourée de remparts, mais elle détient son propre château, soit le Château Frontenac, inauguré en 1893 et nommé en l’honneur de Louis de Buade (1622-1698), compte de Frontenac. Absolument indissociable de l’image de la Vieille-Capitale, sa majestueuse stature émerge de la cité tel un pic et domine le fleuve St-Laurent des hauteurs de la terrasse Dufferin. Le célèbre hôtel, dont l’architecture s’inspire des châteaux français de l’époque de la Renaissance, subit plusieurs transformations au fil du temps, comme l’ajout de la tour centrale en 1926. Témoin de l’histoire, ses murs logèrent Theodore Roosevelt et Winston Churchill lors de leur passage à Québec en 1943, réunis dans la Citadelle pour planifier des stratégies contre les forces de l’Axe. Maurice Duplessis, ancien premier ministre du Québec et fondateur du parti de l’Union nationale, y résida également un certain temps. L’hôtel expose d’ailleurs plusieurs images de ces événements et autres de son histoire dans les allées de ses étages inférieurs, près du Salon Rose.

À travers les nombreuses traces du passé reconnaissables sur ce château, une pierre en particulier retient notre attention. Malgré son âge vénérable, elle est méconnue des habitants de la Capitale. Presque dissimulée, celle-ci est incrustée au-dessus d’un passage voûté menant à la rue St-Louis sur la façade nord de la cour intérieure du Château Frontenac. En y portant attention, on remarque une stèle de dimension moyenne, soigneusement conservée, teintée d’un rouge vif et gravée d’une croix à huit pointes; c’est la pierre symbolisant l’Ordre Souverain Militaire et Hospitalier de Saint-Jean-de-Jérusalem, de Rhodes et de Malte (de son nom officiel). Mais qu’a donc cette pierre de si spécial? Pourquoi l’a-t-on conservé? Quelle est sa signification?

Pierre gravée pour le prieuré des Chevaliers de Malte, Québec, 1647

Cette pierre est en fait l’une de celles qui constituaient autrefois les fondations du fameux château St-Louis, situé sur l’actuelle terrasse Dufferin et nommé ainsi en hommage au Roi Louis XIII. Initialement construit par Samuel de Champlain en 1620, il s’agit de la résidence officielle du gouvernement de la Nouvelle-France. C’est en 1647 qu’on y sculpte cette croix de Malte, ce qui lui donne aujourd’hui plus de 350 ans! La stèle est donc largement antérieure au Château Frontenac.

L’Ordre des Chevaliers de Malte est une organisation catholique et militaire dont la création remonte à l’époque des Croisades, soit le 11e siècle. Le groupe réclame pour origine l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem (ou « Ordre de l’Hôpital », « les chevaliers hospitaliers » ou simplement « les Hospitaliers »), un prieuré de moines guerriers fondé à Jérusalem en l’an 1048 pour assurer la sécurité des pèlerins occidentaux venus trouver l’absolution divine en Terre Sainte. Leur patron spirituel est alors Saint-Jean Baptiste. Plusieurs de ces groupes, traditionnellement constitués de membres issus de la chevalerie et de la noblesse chrétienne, ont survécu à l’épreuve du temps, et ont traversé les siècles pour se rendre jusqu’à nous. La tradition veut que les chevaliers de Malte eussent déjà été en présence active dans la cité de Québec au 17e et au 18e siècles. Ce sont des capitaines de bateaux, des hommes d’affaires, des diplomates, etc. Le fils cadet de Montcalm en sera un.

Si Samuel de Champlain n’était pas l’un d’eux, sont adjoint, De Lisle faisait bien partie de l’Ordre. En 1647, le gouverneur de la colonie est Charles Huault de Montmagny, également chevalier de Malte. La même année, il reçoit un cheval (le premier au Canada et le seul pendant presque 20 ans) des habitants de Québec s’étant cotisés pour le lui offrir. En effet, on ne pouvait imaginer un chevalier sans cheval! Il semble que Montmagny était  particulièrement infatigable dans ses efforts pour promouvoir les intérêts de l’Ordre dans la colonie. La pierre de Malte s’inscrit directement dans cette logique de promotion. Rappelons que la mission des premiers colonisateurs porte un puissant message religieux. La France, dans son expansion, n’apporte pas que le savoir et la  civilisation dans les « Indes occidentales », mais aussi ses croyances. Dans un monde en féroce compétition comme celui de l’ère coloniale en Amérique du Nord, il importe de montrer que Dieu est de son côté.

En 1759, lors de la conquête anglaise de la Nouvelle-France, un incendie vient à bout du  château St-Louis. Ce n’est qu’en 1784, lors de fouilles sur la terrasse Dufferin, qu’on retrouve la pierre de Malte. Elle est, par la suite, intégrée à l’architecture extérieure du Château Frontenac et accompagnée de l’inscription suivante: « Stone carved for the priory of the knights of Malta, Quebec, 1647» («Pierre gravée pour le prieuré des Chevaliers de Malte, Québec, 1647»). En réalité, il n’y eu jamais de « prieuré » au Québec. Malgré ce qu’on pu penser les anglophones du XIXe siècle, les prieurés ont toujours été européens. L’emplacement actuel de la pierre se justifie non seulement par le fait que le luxueux hôtel se trouve sur le site de l’ancien château du gouverneur, mais aussi puisque l’on sait que le compte de Frontenac, Louis de Buade, était également chevalier de Malte. Pour ces raisons, l’endroit était donc tout désigné pour permettre à la stèle de garder une place vivante dans la mémoire collective.

Emplacement de la pierre.

L’Ordre de Malte est l’un des rares ordres fondés au Moyen Âge à être encore actif aujourd’hui, après plus de 960 ans d’histoire. Leur patron, Saint-Jean Baptiste, deviendra celui des Français du Canada lors des premières célébrations de la fête nationale du Québec en 1834 (La Pape Pie X le reconnaîtra officiellement en 1908), organisées par Ludger Duvernay, imprimeur et patriote québécois, pour défendre la langue française face au pouvoir britannique. Tout au long de cette période, l’Ordre demeure fidèle à sa mission et à ses engagements. Il apporte, entre autres, une assistance médicale et humanitaire dans certains pays dans le besoin, particulièrement lors de catastrophes naturelles. Sa mission s’est vue intensifiée surtout pendant les deux Guerres mondiales grâce à la contribution des Grands Prieurés et des Associations nationales. De fil en aiguille, leurs projets prennent de l’ampleur. Ceux-ci touchent actuellement plus de 120 pays dans le monde, notamment au Brésil, en Afrique de l’ouest, au Proche-Orient et en Inde, dû au travail de plus de 13 00 bénévoles laïcs des Chevaliers et des Dames de l’Ordre provenant de toutes les classes sociales et quelques centaines de religieux.

La pierre demeure aujourd’hui visible à tous, ancrée dans le Château Frontenac comme une empreinte indélébile du passé. Elle rappelle un temps où le destin de la colonie était, pour le meilleur et le pire, intimement lié à celui de la religion. Pour un passant non informé, il ne s’agit que d’une autre des millions de pierres qui constituent la charpente de la cité. Pour les historiens, amateurs comme les spécialistes, c’est une fenêtre ouverte sur un héritage culturel historique et méconnu.

Samuel Venière

Cynthia Labonté

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Un certain nombre d’informations soulevées dans cette capsule sont tirées d’un entretient privé avec Christian Samoisette, Chevalier de Grâce Magistrale de l’Ordre Souverain Militaire et Hospitalier de Saint-Jean-de-Jérusalem, de Rhodes et de Malte (Ordre de Malte Association Canadienne).

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