Le Régiment de Carignan-Salières: piliers de l’histoire canadienne

« Ceux-cy nous ont toujours fait la guerre, quoy qu’ils ayent quelquefois fait semblant de demander la paix » Journal des jésuites, chapitre 5: Du païs des Iroquois et des chemins qui y conduisent, An 1665.

Aujourd’hui, j’aimerais vous partager un texte que j’ai rédigé l’an dernier avec l’historien Laurent Turcot pour sa chaîne Youtube L’histoire nous le Dira, une chaîne dédiée à la vulgarisation de l’histoire qui a récemment reçue le prestigieux prix du public pour le Prix Youtuber Histoire dans le cadre du salon Histoire de Lire – Versailles et que je vous incite fortement à visiter! Je joins également ici la vidéo, pour que vous puissiez apprécier les deux versions de cette capsule sur un événement fondateur de notre histoire:

Créée il y a tout juste un an, la chaîne l’Histoire nous le Dira rassemble aujourd’hui près de 60 000 abonnés!

Le régiment de Carignan-Salières: ce nom vous dit probablement quelque chose. On dit que plus d’un million de Canadiens et Canadiennes descendraient aujourd’hui de ces soldats venus défendre la Nouvelle-France (1), dont un Québécois sur 10.

Plusieurs municipalités portent encore le nom de leurs officiers, comme Longueuil, Berthier, Verchères, et Chambly, par exemple (2). Des forts militaires construits de leurs mains sont aujourd’hui des centres d’interprétation historique reconnus. Nombreux sont ceux qui considèrent ces soldats comme les piliers de notre histoire (3).

Mais qui sont ces hommes qui ont marqué si durablement le paysage québécois? En quoi leurs actions ont-elles été si déterminantes et que sont-ils venus faire ici, exactement? Il faut retourner 350 ans en arrière pour le comprendre.

Des armes pour la paix, des bras pour la colonisation

Le 19 juin 1665 (4), les premières compagnies de soldats du Régiment de Carignan-Salières débarquent à Québec. L’événement a de quoi impressionner: près de 1 500 hommes en uniforme, marchant au rythme du tambour sous le claquement des énormes drapeaux régimentaires, arrivent dans une colonie qui comporte à peine 3 000 âmes. C’est Louis XIV, le Roi-Soleil, qui envoie ces troupes réglées au Canada pour soumettre ses ennemis à sa volonté.

On sent bien que quelque chose d’important se passe dans la colonie. Mais quoi?

C’est la guerre! Vers 1650, les incursions des Iroquois en Nouvelle-France sont de plus en plus fréquentes et violentes, notamment les Agniers, une des nations iroquoises les plus rapprochées (5).

Ils en ont gros sur le cœur contre les Français, qui sont en train de s’accaparer tout le marché de la traite des fourrure avec leurs alliés, les Hurons. L’objet de toutes les convoitises est alors la fourrure de castor, réputée excellente.

La ruée vers le castor

Le castor existe déjà en Europe, mais la ressource s’épuise dangereusement au 16e siècle (6). On découvrira ensuite qu’au Canada, elle est surabondante. « Jackpot« .

Ça tombe à pic, car le commerce des chapeaux en feutre de castor explose littéralement à la même époque. Léger, imperméable, indéchirable, gardant sa couleur au soleil, le feutre de castor devient un objet de luxe très recherché (7).

Dès leur arrivée en Nouvelle-France, les Français vont donc se lancer tête baissée dans ce commerce. Ils achètent leurs fourrures des Hurons, qui s’approvisionnent dans la région des grands lacs: la zone où la ressources est la plus abondante. Jusqu’ici, tout va bien.

Toutefois, vers 1650, le vent tourne. La population des Hurons se met à chuter drastiquement, notamment à cause des maladies transmises par les Européens qui déciment leur population: ce qu’on va appeler plus tard le « choc microbien ». Les Français doivent donc aller chercher la ressource eux-mêmes plus profondément dans le continent.

Montréal est fondée en 1642 entre autres pour servir ces ambitions. Les Iroquois n’apprécient pas du tout la progression des Français le long du Saint-Laurent et décident de harceler la colonie.

Un jour de 1652, une patrouille de trois indigènes bondit des buissons et attaque Martine Messier, une habitante de Montréal venue travailler la terre. À peine est-elle sortie de la ville qu’elle est battue à coups de tomahawk. Un des iroquois veut scalper la malheureuse, mais celle-ci évite la mort de peu en empoignant fermement son assaillant à « un endroit que la pudeur nous défend de nommer » (8), sauvant sa vie du même coup.

L’instinct de conservation est vif chez tout individu!

Des soldats à la dernière mode européenne

Toujours est-il qu’il faut faire quelque chose. On envoie alors Pierre Boucher, le gouverneur de Trois-Rivières, en 1661 demander l’aide du jeune Louis XIV, qui ne fera pas dans la demi-mesure pour punir ceux qui s’attaquent au domaine du Roi.

Qui sont ces soldats et à quoi ressemblent-ils?

La présence d’un régiment entier de soldats professionnels est du jamais-vu, en Nouvelle-France à l’époque. Leur éclat tranche net avec les manières rudes de la colonie.

Leur uniforme est inspiré de la dernière mode européenne: Par dessus la culotte et la veste de laine, ils portent un manteau ample qui leur descend jusqu’aux genoux: le justaucorps. Un large chapeau complète l’ensemble. Le régiment de Carignan-Salières est d’ailleurs un des premiers en Europe à imposer le même habit à tout le régiment.

L’équipement est particulièrement moderne. En plus de l’épée et des charges de poudre noires portées en bandouillère, 30% du régiment est équipé du fameux fusil à pierre, une arme révolutionnaire à l’époque. Contrairement au mousquet, qui fonctionne grâce à une mèche dont l’entretien cause beaucoup de complications, le fusil à pierre est mis à feu grâce à une pierre de silex et nécessite peu d’entretien.

Ces hommes viennent de très loin: aussitôt choisi pour cette mission, le régiment va traverser a France à pied pendant trois semaines (9). Les hommes sont ensuite convoyés dans sept navires qui arriveront à Québec de juin à septembre 1665 (10).

Si l’arrivée de ces troupes inspire confiance et rehausse le moral de la colonie, on se rend vite compte qu’elles sont mal préparées à affronter le climat rigoureux.

On se le demande: comment arriverons-t-ils, dans ces lourds habits, à briser un ennemi léger et rapide, qui connait parfaitement la région? Ces Européens survivront-ils à la rudesse du pays?

Officier du Régiment de Carignan-Salières, 1666. Original par Lucien Rousselot en 1931. Robert Rosewarne. BAC, MIKAN 2837773, 2896020,

Officier du Régiment de Carignan-Salières, 1666. Original par Lucien Rousselot en 1931. Robert Rosewarne. BAC, MIKAN 2837773, 2896020, http://collectionscanada.gc.ca/pam_archives/index.php?fuseaction=genitem.displayItem&rec_nbr=2896020&lang=eng&rec_nbr_list=2896020,2837773

Remuer ciel et terre: une démonstration de force musclée

Les officiers du Régiment de Carignan-Salières ne laisseront pas aux habitants le temps de se poser la question très longtemps. Aussitôt arrivés, les hommes se mettent à construire des forts le long de la rivière Richelieu pour verrouiller la route d’invasion des Iroquois. Dès l’automne, les forts Saint-Louis, Richelieu et Sainte-Thérése sont érigés (11).

Un plan téméraire est ensuite organisé pour attaquer l’ennemi au cœur de leur propre territoire… en plein hiver (12)!

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En janvier 1666, environ 600 soldats du régiment et 70 Canadiens envahissent le pays Mohawk. Quelques Iroquois tombe dans l’embuscade, mais au final l’expédition échoue car la troupe a du mal à trouver son chemin dans ce monde sans route, où les bons guides constituent l’unique façon de s’orienter.

En septembre, une autre expédition est envoyée. Cette fois, les soldats accomplissent leur mission. Ils font irruption dans les villages Iroquois et les détruisent. La victoire est totale… ou presque! Car les Iroquois, préférant éviter le combat, ont fui leurs villages, qui étaient donc vides quand les Français y sont arrivés.

Que penser de ces expéditions? Si aucun combat n’a réellement eu lieu, les Iroquois ont été impressionnés par cette démonstration de force musclée, assez du moins pour signer une paix avec la France l’année suivante, en 1667 (13).

Un héritage durable

Que retenir du passage de ces hommes? Premièrement, leur venue marque une rupture nette dans la gestion de la colonie: depuis 1663, celle-ci est sous la gouverne directe du roi de France, et non plus entre les mains de compagnies marchandes comme celle des Cent-Associés. Québec prend une toute nouvelle place dans l’administration royale, dont une des premières manifestation est l’envoi des troupe du Carignan-Salières.

Ces soldats vont également servir aux projets de colonisation du Canada encouragés par le Roi. Une fois le pays pacifié, la Couronne va fortement inciter les soldats à s’établir au Canada en leur offrant des terres. Cette proposition généreuse va convaincre environ 400 soldats à rester (14). De ce nombre, 283 se marieront et auront une descendance, dont plusieurs avec des filles du Roy (15).

La région où les seigneuries concédées aux officiers du régiment sont le plus concentrées se situe à l’embouchure de la rivière Richelieu sur le fleuve Saint-Laurent: Berthier, Lanoraie, Lavaltrie, Sorel, Contrecoeur et Verchères, par exemple, portent toujours les noms de ces officiers (16).

Leur passage va également permettre à d’autres colons de s’installer dans les zones nouvellement sécurisées, notamment le long de la rivière Richelieu, mais aussi d’étendre la colonisation au bas du fleuve et en Gaspésie. Cette paix nouvelle va également inaugurer une période de prospérité durable.

Carte Carignan-Salieres

En vert, les seigneuries datant d’avant le passage du régiment de Carignan-Salières. En rouge, les seigneuries accordés aux militaires après leur passage. En jaune, les seigneuries accordées après leur passage. Radio-Canada: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/738872/regiment-carignan-salieres-soldats-350e-anniversaire-arrivee

Finalement, l’expérience et les connaissances militaires de ces soldats seront mises à profit dans la formation d’une nouvelle milice canadienne, destinée à protéger la colonie des menaces futures.

Pour servir ces ambitions, les règles relatives aux armes seront plus flexibles dans la colonie que dans la mère patrie: En France, le droit de chasse est étroitement réglementé, réservé aux classes supérieures. Dans la colonie, la hiérarchie se trouve inversée. Les autorités favorisent la circulation des armes à feu, émettent même des ordonnances pour obliger chaque habitant à s’en procurer et la chasse est largement répandue.

Au final, ce n’est qu’après le passage des soldats du régiment de Carignan-Salières que les Français prennent totalement le contrôle de la vallée laurentienne.

Il faudra attendre 1690 pour qu’une autre menace pèse sur la Nouvelle-France, cette fois venant d’un ennemi que la France ne connait que trop bien: les Anglais.

Mais ça, c’est une autre histoire…

Samuel Venière

Historien consultant

  1. L’histoire du Québec: le régiment de Carignan-Salières, Capsule éducatives, https://www.youtube.com/watch?v=MeMQ4VY_QE8
  2. Ibid.
  3. Désignation de l’arrivée du régiment de Carignan-Salières en Nouvelle-France comme événement historique, Culture et communications Québec, Gouvernement du Québec, https://www.mcc.gouv.qc.ca/index.php?id=2328&no_cache=1&tx_ttnews%5Btt_news%5D=7207&cHash=83ecd704525bbdee4655a3fb7db8c8de
  4. Arrivée du régiment de Carignan-Salières en Nouvelle-France, Culture et Communications Québec, Gouvernement du Québec, http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=26633&type=pge#.WtpFuS7wbIU
  5. [Les Six-Nations iroquoises sont composées, d’ouest en est des Tuscaroras, les Sénécas (Tsonnontouans), les Cayugas (Goyogoins), les Onondagas (Onontagués), les Onéidas (Onnéiouts) et les Agniers (Mohawks).
  6. Scénario:Visite guidée Lys et Lion, Les Services historiques les Six-Associés, Marie-Ève Ouellette, Ph D. Historienne et Benoît Bourdages.
  7. Ibid.
  8. François Dollier de Casson, Histoire de Montréal, dans Mémoire de la Société historique de Montréal, Montréal, 1868, p. 84, tiré de La vie libertine en Nouvelle-France de Robert-Lionel Séguin, Septentrion 2017 (première édition 1972), p. 17.
  9. Arrivée du régiment de Carignan-Salières en Nouvelle-France, Culture et Communications Québec, Gouvernement du Québec, http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=26633&type=pge#.WtpFuS7wbIU
  10. Ibid.
  11. Arrivée du régiment de Carignan-Salières en Nouvelle-France, Culture et Communications Québec, Gouvernement du Québec, http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=26633&type=pge#.WtpFuS7wbIU
  12. Carignan-Salières, régiment de, Encyclopédie canadienne en Ligne, http://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/carignan-salieres-regiment-de/
  13. Ibid.
  14. Ibid.
  15. Arrivée du régiment de Carignan-Salières en Nouvelle-France, Culture et Communications Québec, Gouvernement du Québec, http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=26633&type=pge#.WtpFuS7wbIU
  16. Descendants du régiment Carignan-Salières, garde à vous! , Ici Radio-Canada, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/738872/regiment-carignan-salieres-soldats-350e-anniversaire-arrivee

Premier Putsch en Amérique: Jacques Cartier en 1536

Vous n’êtes pas satisfait d’un gouvernement ? Changez-le. Faute d’un vote démocratique, il y a toujours le recours aux armes pour éliminer ceux qui détiennent le pouvoir, ce qui s’appelle un Putsch, ou coup d’état. C’est précisément ce qu’a fait Jacques Cartier en 1536 avec le chef amérindien Donnacona.

Naguère, un manuel d’histoire annonçait aux jeunes du primaire: « Cartier apporte le petit Jésus aux sauvages ». Si les Amérindiens n’avaient pas encore connu la pratique du renversement politique, Cartier la leur apportait plutôt que le « petit Jésus », en effectuant le premier putsch que l’on connaisse en Amérique du Nord. – Marcel Trudel

41_Jacques_Cartier_portraitJacques Cartier est déjà un navigateur expérimenté lorsqu’il explore le St-Laurent. Formé aux arts de la navigation depuis sa jeunesse, il a déjà voyagé jusqu’à Terre-neuve et exploré les côtes du Brésil lorsque l’évêque de Saint-Malo (ville natale de Cartier) propose au roi François 1er une expédition au Nouveau Monde en vantant les mérites de Cartier. Le roi approuve le projet, dont l’objectif clair est de « descouvrir certaines ysles et pays où l’on dit qu’il se doibt trouver grant quantité d’or et autres riches choses ».

Même si les Européens ont déjà tissé des liens harmonieux avec les Amérindiens, Cartier se méfie d’eux. Aussitôt le pied mit à terre en Gaspésie le 6 juillet 1534, il est rapidement entouré par une foule de Micmacs qui se bousculent pour lui vendre des fourrures. Il tente de les disperser en tirant une salve au dessus de leur tête, mais en vain. La confusion rend le contact difficile. Mais déjà, le lendemain, les échanges se déroulent mieux.

Un premier tour de force

Image 10 de 24 - Jacques Cartier à Gaspé, 1534.  Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 2896921

Jacques Cartier à Gaspé, 1534.
Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 2896921

Deux semaines plus tard, l’explorateur s’apprête à repartir vers le vieux continent. Au moment de quitter Gaspé, il s’affaire à y ériger une imposante croix lorsque le chef Donnacona fait irruption avec ses deux fils, Domagaya et Taignoagny, à bord de son canot. Il proteste contre cette croix. Il se sent lésé. Cartier l’accueille. On parlemente, sans trop se comprendre, faute d’interprète. Il finit par convaincre Donnacona de le laisser emmener ses deux fils en France. Premier tour de force!

Les deux frères vont passer huit mois en France. Ils y  apprennent le français et fournissent des renseignements précieux sur leur pays : grâce à eux, Cartier découvre en 1535 ce grand fleuve qu’il a raté l’année précédente… Il revient l’année suivante, à l’automne 1535, et retrouve les Iroquois à Stadaconné (aujourd’hui Québec). Malgré un accueil chaleureux, Cartier remarque que les habitants, dont le chef et ses fils, se tiennent loin de lui pour délibérer.

Walter Baker, L'arrivée de Jacques Cartier à Stadaconé,

Walter Baker, L’arrivée de Jacques Cartier à Stadaconé,

Il finit par comprendre qu’ils s’opposent à ce que Cartier explore plus en amont du fleuve, vers Hochelaga (aujourd’hui Montréal) et même que lui et son équipage passe l’hiver ici. Les Iroquoiens montent alors toute une scène pour effrayer Cartier: leur dieu annonce qu’il y aura bientôt tant de glace et de neige que les Français périront tous. Cartier, qui ne connaît que les hivers doux de Bretagne, éclate de rire, traite ce dieu de sot et entame son voyage.

À son retour, Cartier et ses hommes s’installent dans une place fortifiée pour hiverner. L’hiver vient, et le navigateur découvre ce n’est pas du tout celui de Saint-Malo… Le dieu de Iroquoiens n’étaient peut-être pas si sot, en fin de compte! Le scorbut fait son apparition avec l’hiver et fauche la santé de la plupart des Français. À la mi-février, des 110 hommes il n’en reste plus que 10 de valides. Cartier craint fort que les amérindiens ne profitent de cet état de faiblesse pour les attaquer. Son voyage à Hochelaga, malgré leur avertissement, les a profondément choqué. Il ordonne qu’à chaque fois que l’on approche du fort, de faire beaucoup de tapage, pour faire comme si les hommes travaillaient sans relâche. Il faut dissimuler leur situation.

Jacques Cartier rencontre encore Donnacona, chef des Iroquois et père de Domagaya et Taignoagny qui le salue par les mots 'Kanata' ou 'Cantha', ce qui veut dire groupement de huttes. C'est le premier usage attesté du nom Kanata qui deviendra Canada

Jacques Cartier rencontre encore Donnacona, chef des Iroquois et père de Domagaya et Taignoagny qui le salue par les mots ‘Kanata’ ou ‘Cantha’, ce qui veut dire groupement de huttes.
C’est le premier usage attesté du nom Kanata qui deviendra Canada

 

Le coup d’état

Au printemps revenu, il faut penser retourner en France. Mais comment assurer une présence française en ces terres nouvelles? La situation se présente mal. Les défiances continuent d’aggraver les relations et les alliances s’effritent. Donnaconna refusent même certaines entrevues à Cartier. Alors qu’un jour les Iroquois tiennent une grande assemblée, Cartier envoie des hommes pour s’enquérir de ce qui s’y passe: il apprend qu’un homme, Agona, conteste le titre de chef à Donnacona. Les fils de ce dernier, qui ont connu l’exil, viennent à Cartier lui demander d’écarter ce rival  en l’emmenant en France avec lui. Un plan germe alors dans la tête du Français.

Cartier joue de finesse et d’intrigues. Il prétend que le roi ne veut plus qu’on ramène d’Amérindien en France, mais consent à embarquer Agona et de le laisser sur une quelconque île en chemin. En réalité, Cartier à déjà tranché secrètement en faveur d’Agona. Il ne fait plus confiance à Donnacona et ses fils et cherche un moyen de les ramener en France. Mais comment?

Le 3 mai, fête de la découverte de la Sainte croix, est l’occasion choisie pour tendre un piège au chef et ses fils: après les avoir invité à une cérémonie solennelle, au moment du signal, les hommes de Cartier s’empareront de Donnacona et ses proches pour les jeter à bord des navires. Un plan des plus subtils … Mais tout ne se déroule pas comme prévu.

Second voyage de Cartier, 1535-1536.

Second voyage de Cartier, 1535-1536.

Au moment de l’arrivée de Donnacona et ses fils, les Amérindiens sont nombreux à l’accompagner. Le chef s’approche, avec « l’œil au bois, et une crainte merveilleuse ». Ils sont méfiants. Quelques instants avant de pénétrer dans le fort, le fils, Taignoagny, flaire un piège, avertit son père et le somme de rebrousser chemin. Trop tard! Cartier crie un ordre; ses hommes se saisissent de Donnacona et ses deux fils. Les autres Iroquois fuient à la débandade « comme brebis devant loup ». Le putsch est réussi. Le clan Donnacona est écarté du pouvoir. La place est désormais libre pour Agona.

Mais les Iroquois protestent contre cet enlèvement, « huchant et ullant toute la nuit comme des loups ». Le lendemain, il forment un foule menaçante devant le fort. Cartier convainc alors Donnacona qu’une fois qu’ils auront vu le roi pour lui décrire les fabuleux trésors que recèle le royaume du Saguenay, ils reviendront dans 10 ou 12 lunes, grassement récompensés par le roi. Donnacona se laisse convaincre. Il se montre devant le peuple pour le rassurer. Les Iroquois se réjouissent, renouvellent l’alliance, et apportent des provisions à leurs congénères pour leur voyage. Le 6 mai 1536, les Français accompagnés de 10 Iroquois quittent Stadaconné.

Cartier réitère sa promesse: Donnacona et les siens reviendront. Cependant, l’auteur de la relation ajoute tout de suite: « Et ce disait pour les contenter ». – Marcel Trudel

Donnaconé amené en France par Jacques Cartier au printemps 1536] © Musée de la civilisation, bibliothèque du Séminaire de Québec. Donnacona emmené en France, dans : Adélard Desrosiers, Petite histoire du Canada. Québec. 1933.

Donnacona amené en France par Jacques Cartier au printemps 1536 © Musée de la civilisation, bibliothèque du Séminaire de Québec. Donnacona emmené en France, dans : Adélard Desrosiers, Petite histoire du Canada. Québec. 1933.

Jacques cartier ne revient que cinq ans plus tard, en 1541.  De toute évidence, ses Amérindiens de 1536 ne sont pas de retour avec lui. Aux Iroquois qui lui rappellent sa promesse, il déclare que Donnacona est mort en France. Les autres? Il trouve réponse à tout, expliquant qu’ils vivent comme les grands de France, qu’ils se sont mariés et qu’ils n’ont pas désiré revenir. Agona, devenu chef de Stadaconé grâce au putsch de Cartier, se satisfait de cette réponse.

Le jeu qui n’en valait pas la chandelle

Le navigateur va-t-il tirer profit de son coup d’état? Pas vraiment. Agona renouvelle l’alliance avec les Français, mais rapidement la méfiance entre les deux camps reprend sa place. Cartier, de son côté, ne revient pas s’installer près de Stadaconé mais s’établit plutôt quelques kilomètres en amont du fleuve St-Laurent, à Cap-Rouge. Les relations avec les Amérindiens continuent de se dégrader. Bientôt, c’est littéralement l’état de guerre, alors que des Iroquoiens attaquent les Français qui hivernent à Charlesbourg-Royal (Cap-Rouge). Les Iroquois se vanteront d’avoir tué à Cartier plus de 35 hommes. Convaincu d’avoir trouvé quantité d’or et de diamants (en réalité, de la pyrite de fer et du quartz!), Cartier en charge ses navires et repart vers la France en 1542, sans attendre Roberval, qui arrivait avec d’autres colons. Le Putsch ne profitera pas plus à Roberval qu’à Cartier, car en 1543 les Français doivent évacuer le St-Laurent pour deux principales raisons: le climat et, surtout, l’impossibilité de commercer avec les Amérindiens, devenus hostiles…

La guerre Franco-iroquoise est une des conséquences de la politique de Jacques Cartier. C’est un premier échec de la colonisation française au Canada. Au XVIe siècle, les Français tenteront également de s’établir au Brésil et en Caroline du Sud, mais il faudra attendre en 1608 pour qu’un établissement durable soit implanté à Québec.

Samuel Venière

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1. Informations et citations tirées de Marcel Trudel, Mythes et réalités dans l’histoire du Québec, T. 5, Hurtubise, 2010, p. 13-18.

2. Dictionnaire biographique Du Canada :

Jacques Cartier http://www.biographi.ca/fr/bio/cartier_jacques_1491_1557_1F.html

Donnaconna http://www.biographi.ca/fr/bio/donnacona_1F.html

3. Musée virtuel de la Nouvelle-France

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